Les premières auditions publiques et télévisées, dans le cadre de l’enquête en vue d’une éventuelle destitution de Donald Trump dans l’affaire ukrainienne, ont duré plus de cinq heures ce mercredi.
Mais cette procédure rare – à laquelle n’ont été soumises que deux administrations dans l’histoire moderne des Etats-Unis, celles du républicain Richard Nixon et du démocrate Bill Clinton – a souligné l’extrême polarisation de la classe politique américaine. «S’il ne s’agit pas d’une conduite digne d’une procédure en destitution, qu’est-ce qui peut l’être ?», s’est interrogé le démocrate Adam Schiff, président de la commission des Renseignements de la Chambre des représentants, après avoir énuméré les éléments rassemblés contre Trump depuis le début de l’enquête. «C’est une campagne de dénigrement médiatique savamment orchestrée», a pour sa part dénoncé son pendant républicain, Devin Nunes.
Deux diplomates au pedigree impeccable, ayant travaillé pour des administrations républicaines et démocrates, étaient interrogés par la Chambre des représentants : William Taylor, ambassadeur américain de facto à Kiev, et George Kent, haut responsable du département d’Etat spécialiste de l’Ukraine.
Les auditions doivent servir, espèrent les démocrates, majoritaires à la Chambre, à convaincre l’opinion publique en donnant de la chair à leurs accusations. Ils soupçonnent Donald Trump d’avoir abusé de ses pouvoirs en demandant à son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky d’enquêter sur Joe Biden, bien placé pour l’affronter en novembre 2020 à la présidentielle. Au cours d’une conversation téléphonique le 25 juillet, Trump a demandé à Zelensky de «se pencher» sur l’ancien vice-président d’Obama et son fils, Hunter, alors employé par une compagnie gazière ukrainienne.
Selon de nombreux éléments et témoignages recueillis depuis l’ouverture de l’enquête fin septembre, l’avocat personnel de Trump, Rudy Giuliani, aurait mis en place une diplomatie parallèle pour faire pression sur les Ukrainiens. Dans son témoignage mercredi, William Taylor a évoqué ce canal diplomatique «irrégulier» avec l’Ukraine. George Kent est allé lui aussi dans ce sens : «A la mi-août, il m’est apparu évident que les efforts de Giuliani pour concocter des enquêtes politiques contaminaient désormais» les relations entre Kiev et Washington, a-t-il affirmé.
Comme levier, le président Trump aurait suspendu une aide militaire de près de 400 millions de dollars destinée à Kiev, et mis dans la balance une possible invitation à la Maison Blanche de Zelensky, demandant en échange de l’aide pour sa réélection en 2020. «J’ai écrit que suspendre l’aide sécuritaire en échange d’un coup de main pour une campagne politique aux Etats-Unis était dingue, et je le crois toujours aujourd’hui», a affirmé William Taylor dans ses propos introductifs.
L’élément nouveau des déclarations de William Taylor, déjà auditionné mi-octobre à huis clos, met Donald Trump encore un peu plus au centre des manœuvres. Le diplomate affirme qu’un membre de son équipe a entendu Trump, au téléphone avec l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’Union européenne Gordon Sondland, s’enquérir des «investigations» en Ukraine. Sondland aurait ensuite affirmé que le président américaine s’intéressait davantage à l’ouverture d’une enquête sur Biden en Ukraine qu’à la situation dans ce pays – la guerre contre les forces séparatistes pro-russes y a fait 13 000 morts depuis 2014.américain
La prochaine audition publique aura lieu vendredi, avec l’ancienne ambassadrice américaine en Ukraine, Marie Yovanovitch. Les démocrates veulent mener leur enquête sans «délai». Leur majorité à la Chambre laisse peu de doutes sur l’impeachment du président. Il est en revanche peu probable que Trump soit ensuite destitué au Sénat, contrôlé par les républicains.
Liberation