Accueil MAURITANIE Histoire du mouvement abolitionniste mauritanien : L’esclavage, une pratique barbare et multiséculaire

Histoire du mouvement abolitionniste mauritanien : L’esclavage, une pratique barbare et multiséculaire

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En ce 21ième siècle, les pratiques esclavagistes restent encore très rependues en Mauritanie. L’esclavage a existé jadis dans toutes les communautés mauritaniennes, chez les soninké, peul et wolof, ses marques sont encore très visibles avec un système de stratification sociale vecteur de la féodalité vécue au quotidien. Par ailleurs, sa continuité, parmi les populations arabo-berbères se réalise encore selon le modèle originel, celui de la servitude par ascendance ; dans ce schéma multiséculaire de domination, les hratin (esclaves et anciens esclaves) se transmettent, en héritage, leur condition de parias, exploités, marginalisés et, cependant, indispensables à la cohérence pyramidale de l’inégalité de naissance, pilier de l’équilibre social.

Au fil des siècles, les hratin ont été entretenus dans l’illusion que « leur paradis est sous les pieds de leurs maîtres ». Il s’agit là d’un mécanisme efficace de contrôle qui forme les personnes asservies à une obéissance irrationnelle ; ainsi, sont-ils élevés à accepter leur sort, sous peine de s’exposer à la colère divine. Sans éducation ou moyens de subsistance pouvant assurer l’indépendance, ni même l’autonomie alimentaire la plus immédiate, la plupart se croient esclaves par la volonté de Dieu.
En effet, au cours du dernier siècle, par des textes législatifs, l’esclavage en Mauritanie a été aboli- en théorie – à trois reprises. Pour la première fois, en 1905, un décret prévoit l’application, à la Mauritanie de la loi française votée en 1848 abolissant l’esclavage dans toutes les colonies françaises. L’interdiction par défaut viendra ensuite dans la première Constitution (1961) de la Mauritanie indépendante qui intègre en son préambule, les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

L’esclavage mauritanien est bien vieux et vicieux, il a traversé sept siècles. Ainsi, il est tout à fait légitime de se poser la question quant aux raisons de cette terrible longévité. Tenir l’esclave docile et maniable à volonté, tel est le défi que le maître d’esclaves mauritanien s’est promis de relever le plus longtemps possible face à la sensibilité de la raison dans son obstination à percer les énigmes qui cherchent à lui passer dessus. Cela passe par la fermeture devant les enfants d’esclaves de toutes les portes d’accès au savoir et leur maintien dans les profondeurs des ténèbres. Il faudra s’assurer qu’ils ne sauront ni lire, ni écrire. Mais, le temps faisant, les murs de la barbarie se sont fissurés, par endroit. Une infime minorité d’enfants issus de familles asservies ont eu une chance énorme, par la magie du hasard et dans une situation contre-nature, d’avoir fréquenté soit l’école coranique (mahadra) et/ou l’école moderne.

Certains ont pu faire des études supérieures. Le savoir fait découvrir de nouveaux horizons, il contribue fortement à détruire les clichés, à décomplexer et à libérer celui qui le porte. Nous sommes au milieu des années 70, une certaine élite hratin instruite trouve inacceptable la condition de leur communauté et commence à la dénoncer, à haute voix. Un groupe de hratin se retrouve, forme un noyau qui s’organise et prend du temps à se solidifier pour créer un certain mardi 5 mars 1978 le mouvement abolitionniste « El Hor » qui veut dire littéralement « l’Homme libre » en hassanya (dialecte arabe mauritanien). El Hor, mouvement clandestin, choisit tout de suite la position de dénonciation et de refus des crimes d’esclavage, ceci à l’époque n’était pas commode avec les mentalités et moins encore avec le mode de pensée des groupes dominants et de la classe dirigeante du pays. El Hor s’est fixé comme objectif premier de sensibiliser en vue de conscientiser et mobiliser les masses hratin pour l’abolition totale et réelle de l’esclavage.

C’est dans ce contexte que se produisit la vente, en novembre 1979, sur la place du marché d’Atar, d’une esclave prénommée M’barka. El Hor, suite à une campagne de sensibilisation, organise en janvier, février et mars 1980 dans les villes d’Atar, Nouadhibou, Zouerate et de Nouakchott d’importantes manifestations populaires. Bien que pacifique, cette campagne de protestation a été violemment réprimée par les forces de l’ordre, des dizaines de hratin ont été arrêtés et sauvagement torturés. En mai de la même année, dix-huit membres dirigeants du mouvement ont été jugés dans la ville de Rosso par la Cour spéciale de justice (tribunal militaire) pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ».Ce procès qui a été public a été une occasion majeure pour le collectif de défense et les inculpés d’étaler des arguments bien solides sur l’existence des pratiques esclavagiste en Mauritanie mais aussi sur la nécessité et le droit de s’organiser en conséquence.

La tournure prise par le procès a amené les autorités de l’époque à décider d’une nouvelle abolition ; ainsi, l’ordonnance no 081-234 du 9 novembre 1981 mettait un terme, tout au moins formel, à une pratique multiséculaire. Face à la persistance du phénomène, l’Etat mauritanien a dû encore, par deux fois, légiférer. Fut votée, la loi 025/2003 portant répression de la traite des personnes qui incrimine l’enrôlement, le transport et le transfert des humains, par la force ou sous la menace, à des fins d’exploitation sexuelle ou économique ; suivra le 3 septembre 2007, la loi portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes. Et en 2012, suite au Dialogue National Inclusif entre le régime et une frange de l’opposition politique dite « dialoguiste », les pratiques esclavagistes ont été portées à la Constitution comme « crime contre l’humanité ».

En plus de l’arsenal juridique national, la Mauritanie est partie à la plupart des instruments internationaux relatifs à la protection de la dignité humaine. Il s’agit de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants. Mais aussi la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention relative aux droits de l’enfant, Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Elle adhère également à plusieurs instruments internationaux qui interdisent – expressément – les pratiques esclavagistes.

La Mauritanie est signataire de la Convention relative à l’esclavage de 1926 et Protocole amendant la Convention relative à l’esclavage, de la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage de 1956, du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, de la Convention no 138 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi, de la Convention no 182 de l’OIT concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination et la Convention no 29 de l’OIT concernant le travail forcé ou obligatoire.

Malgré la percée spectaculaire des organisations abolitionnistes SOS – Esclaves que président Mr Boubacar Messaoud et IRA – Mauritanie (Initiative pour la résurgence du mouvement Abolitionniste) dirigée par Mr Biram Dah Abeid et la profusion de textes législatifs contre l’esclavage dans le pays, de telles pratiques persistent et se perpétuent. Le camp des promoteurs du système de domination ne se cache pas d’œuvrer à maintenir des rapports sociaux de type inégalitaire. Le déni permanent d’esclavage dont font preuve les élites dirigeantes, procède des symptômes de cette cécité volontaire sur le cours de l’histoire et constitue une incitation, à l’adresse des magistrats et du personnel administratif. Il en résulte l’impunité entretenue au bénéfice des auteurs d’actes d’esclavage avérés, lesquels échappent, toujours, à la sanction pénale. Le statuquo perdure car, en Mauritanie, il est toujours fait référence à des ouvrages produits au 12e et 13e siècle par Cheikh Khalil, Ibnou Acher, Addesoughi ou Alakhdari – des jurisconsultes qui traitent de la traite des êtres humains, leurs castration, viol, exploitation et soumission à des pratiques humiliantes et dégradantes : ici les faits d’esclavage sont codifiées en contradiction totale avec le saint Coran et la Sunna – paroles et actes du prophète Mohamed (PSL).

Ces ouvrages continuent à être enseignés en Mauritanie, au programme des cycles de formation des imams, des érudits, des juges, des administrateurs civils, des officiers de police judiciaire, chargés de la gestion des mosquées, du statut personnel et des successions, de l’administration, des tribunaux et de la force publique. L’Etat mauritanien subventionne l’enseignement doctrinal de la discrimination et de la violence « racialiste ».

Cet écrit essaie d’éclairer les lecteurs sur certains aspects du mouvement abolitionniste mauritanien. L’opinion publique mauritanienne gagnerait à connaître davantage la vie des figures historiques abolitionnistes dont les parcours résument en eux seuls toutes les péripéties du courant abolitionniste mauritanien. Ici, l’invitation est faite aux historiens et écrivains/journalistes de mener des recherches en vue de présenter, aux mauritaniens mais également au monde, dans une démarche scientifique et rigoureuse, ces mauritaniennes et ses mauritaniens qui ont osé, au risque de leur péril, dénoncer la barbarie de l’esclavage en Mauritanie.